Archives, Communs, mémoire

Lise Palacios Le Bournot, bannie de Wikipedia

Ce 21 février 2024, jour de l’entrée au Panthéon de Mélinée et Missak Manouchian, les premiers étrangers et communistes résistants pendant la Seconde Guerre mondiale au Panthéon, j’ai écrit un article sur Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot, qui a co-dirigé un maquis dans le Morvan en 1943-44 puis qui contribua après-guerre à la démocratisation de la culture, en participant à l’animation d’un réseau des ciné-clubs national et international.

Et pourtant il est difficile de trouver pour Lise Palacios Le Bournot les « preuves de la notoriété » demandées par Wikipédia France pour justifier la création d’un article dans cette encyclopédie collaborative en ligne : pas « d’ouvrage de référence dans le domaine », à peine « des coupures de presse de niveau national ». Le fait qu’elle ait reçu une décoration nationale (la croix de guerre) était pourtant indiqué comme un critère d’éligibilité, mais cet argument n’a pas été retenu, puisque l’article a été supprimé moins de 12h après sa création avec l’explication suivante :

Autre écueil pour mener des recherches, la disparition de son nom de jeune fille espagnole dans son nom d’épouse, un mode d’effacement bien français : c’est grâce au travail d’Aurore Callewaert, directrice du musée de la Résistance de Saint-Brisson, sur la résistance des femmes que j’ai découvert les origines espagnoles de « Lisette ».
Le projet des sans pagEs œuvre de manière volontariste à augmenter la part des femmes sur Wikipedia, mais la sous-représentation des femmes dans les articles (moins de 20%) correspond sans doute en partie à leur invisibilisation dans l’histoire, donc à la difficulté de sourcer. Tant pour l’histoire des femmes que celle des immigré.es en France, il est indispensable de s’interroger sur la fabrique des archives et évidemment de consacrer du temps et de l’argent à leur collecte, à leur conservation et à leur diffusion. Elles requièrent un peu plus d’énergie et d’inventivité que la gloire des grands hommes…

Ce qu’aurait été l’article Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot

Lise Le Bournot, née Elisa Palacios le 31 janvier 1918 à Alcira (Espagne, communauté valencienne) et morte le 11 décembre 2005 à Perpignan, est une résistante durant la Seconde Guerre mondiale, agente de liaison d’un maquis dans la Nièvre. Après-guerre, elle est étroitement impliquée dans la  Fédération française des ciné-clubs et en particulier des liens avec les fédérations hispaniques. 

Jeunesse

Elisa Palacios est née dans la région de Valence (Espagne) à Alcira (Alzira en valencien) de parents espagnols qui émigrent en France au début des années 1920, Agustin Palacios et Luisa Palacios, Tortosa y Toro. Son père est marchand de quatre saisons dans le secteur des Halles, à Paris, et elle est scolarisée à l’école dans le quartier Saint-Merri sous le prénom de Lise, en butte aux moqueries de ses camarades de classe du fait de ses origines étrangères. Bonne élève, elle pratique aussi le marathon et la natation.

Solidarité avec l’Espagne républicaines

Elle a 18 ans au moment du Front populaire et c’est lors d’une manifestation qu’elle rencontre son futur époux, le communiste Georges Le Bournot. Quand éclate la guerre civile en Espagne, elle s’implique dans l’aide aux réfugiés espagnols à Perpignan dans le Sud de la France, tandis que son frère cadet Agustin s’engage dans les brigades internationales.

Résistance et maquis

Recherché par la police, Georges Le Bournot se cache dans le Morvan : il y travaille comme bûcheron. Lise reste à Paris jusqu’en 1943, où elle confectionne et distribue des tracts clandestins en faveur de la Résistance. Elle est arrêtée puis libérée, faute de preuves et enceinte. Elle rejoint son mari à Bazolles (Nièvre). Avec les militants communistes Raymond Thiel (de nationalité suisse) et Maurice Magis (de nationalité belge), Georges installe un maquis dans la zone et confie la responsabilité militaire à Maurice Magis du fait de son expérience d’officier dans l’armée belge, mais il choisit une direction collective de quatre personnes (Lise et Georges Le Bounot, Raymond Thiel et Maurice Magis) et le maquis prend le nom du bébé que Lise met au monde en mars 1944 : Daniel. Le maquis Daniel a une position singulière car il est affilié aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), mais dirigé par des communistes. « Lisette », telle qu’elle est appelée dans le maquis, est chargée du ravitaillement et du recrutement. A la Libération il lui est attribué le grade d’aspirante et reçoit l’ordre de la croix de guerre.

Après-guerre, le cinéma militant d’art et d’essai

Après la libération, elle gère les salaires des bûcherons français chargés d’abattre des arbres au titre de la réparation de guerre en Forêt Noire. Après ces deux années de travail entre Fribourg et Baden Baden (Allemagne), elle revient à Paris puis s’installe à Perpignan avec sa famille en 1954 

Elle crée le premier ciné-club de Perpignan et s’implique activement dans la fédération française des ciné-clubs (FFCC) et en particulier de la relation avec les pays de culture hispanique. Entre 1954 et 1971, elle contribue régulièrement à la revue de la FFCC Cinéma et représente la FFCC dans des festivals : Cannes, Benalmadena, Gotwaldov et elle apporte son assistance à la création de la fédération cubaine des ciné-clubs. 

Plus tard elle organise à Perpignan, des week-ends cinématographiques qui permettent à des Espagnols de voir des films censurés par la dictature franquiste. Elle crée également avec son mari Georges une salle d’art et d’essai, « le cinématographe », qui ferme lorsqu’ils prennent leur retraite dans les années 1980.

Elle prononce un discours lors l’inauguration de deux stèles commémorant le maquis Daniel près de l’étang de Vaux (Nièvre) le 15 août 1990 :

«  Dans la résistance contre l’occupant nazi, il y avait ceux qui se battaient pour la reconquête d’une patrie, c’est-à-dire d’un certain territoire et ceux qui se battaient pour des valeurs éternelles, et ceci n’importe où il fallait les défendre, là où la liberté était à conquérir. » Et elle rappelle plus loin que « le commandement du maquis Daniel était assuré par un belge, un français, un suisse et une espagnole. Et parmi nos gars, nous avions des espagnols, des italiens, un autrichien, et même un chinois ».

Lise le Bournot meurt le 11 décembre 2005 à Perpignan.

Tous mes remerciements à Daniel Le Bournot et Aurore Callewaert (directrice du musée de la Résistance) qui m’ont fourni des informations et des documents.

Archives

Les archives, fragments d’histoire, de savoir et d’émotion

L’écoute de cette émission de Matières à penser le 1er janvier 2017, qui s’ouvre sur la voix bouleversante de la philosophe Sarah Kaufman, m’a décidée à devenir archiviste. :

https://www.franceinter.fr/emissions/l-humeur-vagabonde/l-humeur-vagabonde-01-janvier-2017

Les archives de Sarah Kaufman sont à l’IMEC.

Archives

Michelle Anker et Stanislas Tomkiewicz, les archives d’un pédo-psychiatre

Toutes une série de circonstances trop longues à raconter ici m’ont amenée à rencontrer Michelle Anker, collaboratrice de Stanislas Tomkiewicz de 1973 à sa mort en 2003, pour l’aider à trier et inventorier les archives « privées » de Tom. D’emblée, la qualification de ses archives est problématique et au-delà de la distinction juridique entre les archives publiques et les archives privées, les dossiers constitués par Michelle relèvent plus largement des archives de la recherche ou de la science.

Les archives du médecin et chercheur  ont déjà été soigneusement classées par Michelle Anker et sont encore conservées à l’IRTH de Montrouge qui hébergeait autrefois l’unité de recherche de l’INSERM dont Tom fut directeur. En tant qu’archives privées, elles sont la propriété des filles de Tomkievicz. L’ainée, Catherine, s’est associée au traitement des archives de son père.

Une équipe s’est mise en place pour réfléchir au devenir de ces archives qui documentent le processus de travail d’un scientifique engagé dans la cité. Ses archives attestent de l’imbrication de tout ce qui le touche et l’intéresse : la pédiatrie et la psychiatrie, sa formation professionnelle de base, mais aussi la question des droits de l’enfant (il participe à la rédaction de la convention des droits de l’enfant de 1989).

IMG-20181015-WA0001

Made with Padlet