Au début, il y a l’envie d’atterrir dans le Morvan, le plus petit massif montagneux de France, une zone granitique enclavée dans la Bourgogne calcaire.
Mille fils m’y relient depuis longtemps déjà, mais j’ai, jusqu’à ces huit dernières années, considéré ce parc naturel régional essentiellement comme un espace de loisirs de citadine fatiguée de l’agitation de la ville : dans ma résidence secondaire, une petite fermette morvandelle, j’aimais être tranquille, loin des voisins (joie de l’habitat dispersé !), en famille ou avec des ami·es (citadin·es…). Balades en forêt, baignades dans les lacs, cueillette de mûres et de sureau pour faire les confitures.
Mon positionnement morvandiau s’est modifié à partir de 2015 : je commence à m’investir timidement dans un café associatif à Montsauche, l’Esquipot (ce qui veut dire « repas partagé » en morvandiau), peu de temps après la naissance d’un jardin partagé en bas de chez moi à Paris et que je m’engageais dans un projet pédagogique de réalisation de podcasts avec des élèves de 5e à l’occasion de la COP21, Du Persil dans les oreilles.
Bref, telle monsieur Jourdain, j’étais déjà de plein pied dans les communs sans avoir jamais entendu parler de la théorie des communs. La théorie est arrivée cinq ans plus tard, par une présentation des travaux d’Elinor Olström par un voisin prof de philo, membre du collectif Action Transition, créé dans la dynamique du jardin partagé : https://action-transition.org/2020/02/08/les-communs-une-presentation-de-manuel-ferrandiz/
En 2021, une nouvelle association est née à Ouroux-en-Morvan, « les chemins d’Ouroux ». Les objectifs définis lors de la déclaration de l’association balisent son périmètre :
- Rassembler et de fédérer les habitants du village d’Ouroux-en-Morvan en menant une réflexion autour du sujet des chemins et des haies,
- Prendre en compte la diversité des usages, humains et non-humains (découverte de la faune et la flore) ;
- Définir leurs rôles passés, actuels et envisager les fonctions à venir (transmission de savoir-faire, partage des connaissances) ;
- Etudier des modes de gestions et de gouvernances atypiques pour faire des haies et des chemins de véritables ressources.
Une copine y avait adhéré, je l’ai suivie.
Première surprise, une assemblée collégiale de douze personnes au lieu de l’habituel bureau avec président etc. J’avais lu des choses sur le sujet, je trouvais cela tentant, mais c’est la première fois que je rencontrais cette gouvernance « en vrai ».
Deuxième surprise, l’organisation de trois week-ends pour construire l’association : le premier dédié à la ressource (chemins communaux et haies), le second à la communauté qui gère la ressource (les habitant·es d’Ouroux dans leur diversité, et « autochtones », notamment les agris et néo-ruraux à demeure ou en pointillés comme moi). Le troisième, prévu en décembre, portera sur la gouvernance de la ressource.
Je n’ai participé qu’au deuxième week-end, mais on m’a raconté que le premier avait donné lieu à de vifs débats. Il avait été décidé de mieux prendre en compte la participation des agriculteurs, propriétaires des haies et en partie des chemins, qui s’étaient plaints d’être négligés. J’ai aussi appris que l’association avait été créée ad hoc pour demander une subvention car une jeune conseillère municipale de la commune avait identifié un appel à projets de la Fondation de France (https://www.fondationdefrance.org/fr/appels-a-projets/reinventer-nos-communs-pour-amplifier-la-transition-ecologique). Cela a permis de faire les premières actions (https://www.parcdumorvan.org/le-parc-en-actions/ecomusee-et-patrimoine/lecomusee-du-morvan/les-ateliers-de-lecomusee-le-mois-de-la-plechie/) mais aussi de financer ces trois week-ends exceptionnels d’échanges et d’organisation de l’association avec des intervenant·es extérieur·es (https://socialtransfert.com/index.php/qui-sommes-nous/).



Ce temps de construction de « la communauté qui gère la ressource » a été passionnant : une soirée où plusieurs villageois (une seule femme…) ont raconté un moment collectif qui les avaient particulièrement marqués. Ils ont ainsi tissé un récit qui suggère une filiation entre le maquis Bernard (un chemin de mémoire est en partie financé par la municipalité), l’organisation du Bicentenaire de la Révolution française (Ouroux a été la commune de la Nièvre choisie par la commission), l’entraide lors de l’incendie d’une ferme, l’équipe de handball locale dans les années 70 et cette nouvelle association, les chemins d’Ouroux, qui raviverait les braises de la convivialité presque éteintes dans les années 1990-2020. L’émotion était palpable dans la salle, où les agriculteurs FNSEA et chasseurs côtoyaient les néo-ruraux parisiens et hollandais écolos pour imaginer ensemble Ouroux en 2030, sur une grande feuille posée au milieu de chaque table :
- Partager les savoir-faire et les savoirs
- Convivialité, balade gourmande, veillée, champignons, crapiauds…
- Ouroux : autonomie alimentaire et énergétique du village
- Plus de place aux jeunes
- Préserver les paysages
- Les voies/voix d’Ouroux (création de radio Ouroux et podcasts)
Le lendemain, l’heure était au bilan du collectif et à la définition de règles pour mieux fonctionner ensemble. Il m’a semblé intéressant que ces règles ne soient pas posées a priori mais procèdent d’une logique d’amélioration à partir de l’expérience d’une première année. Des pistes ont été proposées, autour de ces quatre thèmes identifiés comme les plus importants :
- Intégrer et sortir de l’asso ?
- S’écouter ?
- Réguler les tensions ?
- Décider ensemble ?
Un moment a été aussi consacré à la structuration d’un projet de haie sur un chemin de la commune, la première étape étant l’inventaire des acteurs qui interviennent : du parc régional du Morvan au propriétaire du champ en passant par la commune, la ligue de la protection des oiseaux, le lycée agricole ou la fédération française de randonnée, avec un rôle soit dans la préservation, soit dans la gestion ou l’exploitation, soit dans l’usage de la ressource.
Un autre projet est porté par les Chemins d’Ouroux : la réouverture en chemin piéton de la voie du Tacot, une ligne de chemin de fer locale désaffectée depuis 1938. Elle nécessite un dialogue continu avec les forestiers et les agriculteurs, propriétaires des parcelles.

Que de temps et d’énergie pour réaliser quelques mètres de haies ou défricher un chemin … Ne serait-il pas plus simple d’utiliser la loi pour contraindre les propriétaires de parcelles agricoles à réaliser des haies durables ? Ou que la collectivité finance la réalisation de ces haies dont l’intérêt écologique n’est plus à démontrer ? La puissance publique ne pourrait-elle justement pas faire preuve de sa puissance en planifiant d’une main de maître cette action écologique ? Cela ne serait-il pas plus efficace ?
L’expérience concrète de s’organiser pour faire des haies ensemble peut paraître un projet dérisoire et fragile, pourtant elle me semble plus vivante que les solutions précédentes, sans pour autant les exclure. De fait, elle rapproche une grande diversité d’acteurs (les services publics y sont présents à différents niveaux comme alliés), elle permet du partage, y compris dans l’expression de désaccords, et encapacite les personnes qui y participent.
Elle bouscule aussi les catégories : la conseillère municipale, une des initiatrices de l’association, a-t-elle agit en tant qu’élue ? En tant que randonneuse et cueilleuse de baies sur la commune où elle habite ? En tant que jeune maman qui veut préserver les paysages ruraux pour ses enfants ? Faut-il choisir une étiquette ?
Je suis convaincue qu’il faut bifurquer mais j’ai le sentiment que plusieurs chemins sont praticables.


Le site internet de l’association : https://www.cheminsdouroux.fr/