Archives, mémoire

Nul(le) n’est à l’abri d’une victoire !

photos MAB, logo Cathy Gaspoz

Tel est le titre choisi pour un chantier d’archivage participatif pour documenter la lutte contre Erscia (2011-2016), emprunté à Olivier Dubuquoy, qui anime un atelier qui porte ce titre à l’école des Vivants (Alain Damasio). La nécessité de rassembler les documents de ce combat victorieux m’est apparue au fil de mes rencontres dans le Morvan : si la mémoire est encore vive de la ZAD du bois du Tronçay, les archives sont éparpillées et cette lutte environnementale, qui fait écho à des sujets d’actualité (bois énergie, photovoltaïque au sol…) est très peu visible sur le net.

Un test sur Chat GPT s’est avéré édifiant :

Quelques éléments de contexte pour rectifier toutes ces erreurs : fin 2011, deux associations environnementales de la Nièvre, Loire Vivante et DECAPIVEC, se mobilisent contre un projet de « centrale à cogénération », un incinérateur de bois de récupération, porté par l’entreprise Erscia. La centrale devait être construite à Marcilly, un hameau de Sardy-les-Epiry (à quelques kilomètres de Corbigny) et le projet impliquait la destruction d’une centaine d’hectares de forêt en zone humide, le bois du Tronçay.

« L’affaire Erscia » est portée au tribunal par Loire vivante et DECAVIPEC, soutenues par un collectif d’habitant.es de Marcilly. Adret Morvan (Association pour le développement dans le Respect de l’Environnement en Territoire Morvan) est créée au printemps 2012 et s’associe à la lutte. Une ZAD se constitue à partir du 4 février 2013 pour stopper les bûcherons qui commencent à couper les arbres, malgré la procédure judiciaire en cours. Après moults actions coordonnées, impliquant un très large éventail d’acteurs locaux, le projet est quasiment enterré par le tribunal administratif de Dijon en mai 2015, il y a bientôt 10 ans.

En 2014, Adret Morvan a acheté grâce à un crowdfunding un ancien café à Vauclaix (Nièvre, Morvan), transformé en éco-lieu et un café culturel dédié à la protection de la forêt. C’est en ce lieu qu’a débuté le 2 juin 2024 un chantier d’archivage participatif dont l’objectif est de rassembler dans un fonds documenté les archives de la lutte contre Erscia (textes, vidéos, photos, objets, témoignages). Deux autres ont suivi : le 3 août à Lormes, au Relai.s des Futurs et le 28 septembre à Corbigny, à l’abbaye du Jouïr dans les locaux du Téâtr’Eprouvète.

Ces ateliers sont ouverts à tous et toutes, protagonistes de tous bords, témoins ou simples curieux et curieuses sur le sujet. Ils sont à la fois l’occasion de s’initier aux techniques de l’archivage et également de fabriquer de nouvelles archives sonores et audiovisuelles, puisqu’une petite équipe collecte des témoignages, en parallèle du chantier d’archivage.

Ma proposition de constituer de manière coopérative un fonds d’archives a rencontré diverses réactions : curiosité, intérêt, enthousiasme mais aussi méfiance, défiance et susceptibilité. Il a été très intéressant d’échanger avec les personnes qui incarnent ces différents points de vue, mouvants au demeurant, d’autant que se pose la question de ma légitimité : je n’ai pas participé à la lutte, je n’ai même pas signé une pétition ! En revanche, depuis un an et demi que je vis à mi-temps dans le Morvan et je m’intéresse aux paysages morvandiaux, tous vivants confondus et j’ai senti fortement les effets de cette lutte victorieuse.

Les objectifs tels que je les ai présentés aux participant.es de ces ateliers d’archivage :

  • Collecter et inventorier les sources existantes
  • Documenter les sources inventoriées
  • Fabriquer de nouvelles archives
  • Encapaciter les personnes présentes sur les enjeux et les techniques de l’archivage
  • Construire un fonds d’archives pour divers usages (notamment la valorisation)

Difficile de résumer la richesse des échanges lors de ses ateliers en quelques lignes : des moments de souvenirs, de partage, de rires et d’émotions. J’aurais envie de transformer complètement ma pratique professionnelle en ne faisant plus que des ateliers d’archivage participatif !

Il faut savoir terminer un chantier d’archivage, même si de nouveaux documents et de nouveaux témoignages bousculent cette affirmation : contact a été pris avec les Archives départementales de la Nièvre, qui accueilleront cette collection de documents dès que nous aurons terminé leur inventaire, qui va se poursuivre ces prochains mois en petit comité.

Quelques exemples d’archives :

https://www.youtube.com/@zadboisdutroncay4467

Archives, Communs, mémoire

Lise Palacios Le Bournot, bannie de Wikipedia

Ce 21 février 2024, jour de l’entrée au Panthéon de Mélinée et Missak Manouchian, les premiers étrangers et communistes résistants pendant la Seconde Guerre mondiale au Panthéon, j’ai écrit un article sur Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot, qui a co-dirigé un maquis dans le Morvan en 1943-44 puis qui contribua après-guerre à la démocratisation de la culture, en participant à l’animation d’un réseau des ciné-clubs national et international.

Et pourtant il est difficile de trouver pour Lise Palacios Le Bournot les « preuves de la notoriété » demandées par Wikipédia France pour justifier la création d’un article dans cette encyclopédie collaborative en ligne : pas « d’ouvrage de référence dans le domaine », à peine « des coupures de presse de niveau national ». Le fait qu’elle ait reçu une décoration nationale (la croix de guerre) était pourtant indiqué comme un critère d’éligibilité, mais cet argument n’a pas été retenu, puisque l’article a été supprimé moins de 12h après sa création avec l’explication suivante :

Autre écueil pour mener des recherches, la disparition de son nom de jeune fille espagnole dans son nom d’épouse, un mode d’effacement bien français : c’est grâce au travail d’Aurore Callewaert, directrice du musée de la Résistance de Saint-Brisson, sur la résistance des femmes que j’ai découvert les origines espagnoles de « Lisette ».
Le projet des sans pagEs œuvre de manière volontariste à augmenter la part des femmes sur Wikipedia, mais la sous-représentation des femmes dans les articles (moins de 20%) correspond sans doute en partie à leur invisibilisation dans l’histoire, donc à la difficulté de sourcer. Tant pour l’histoire des femmes que celle des immigré.es en France, il est indispensable de s’interroger sur la fabrique des archives et évidemment de consacrer du temps et de l’argent à leur collecte, à leur conservation et à leur diffusion. Elles requièrent un peu plus d’énergie et d’inventivité que la gloire des grands hommes…

Ce qu’aurait été l’article Wikipedia sur Lise Palacios Le Bournot

Lise Le Bournot, née Elisa Palacios le 31 janvier 1918 à Alcira (Espagne, communauté valencienne) et morte le 11 décembre 2005 à Perpignan, est une résistante durant la Seconde Guerre mondiale, agente de liaison d’un maquis dans la Nièvre. Après-guerre, elle est étroitement impliquée dans la  Fédération française des ciné-clubs et en particulier des liens avec les fédérations hispaniques. 

Jeunesse

Elisa Palacios est née dans la région de Valence (Espagne) à Alcira (Alzira en valencien) de parents espagnols qui émigrent en France au début des années 1920, Agustin Palacios et Luisa Palacios, Tortosa y Toro. Son père est marchand de quatre saisons dans le secteur des Halles, à Paris, et elle est scolarisée à l’école dans le quartier Saint-Merri sous le prénom de Lise, en butte aux moqueries de ses camarades de classe du fait de ses origines étrangères. Bonne élève, elle pratique aussi le marathon et la natation.

Solidarité avec l’Espagne républicaines

Elle a 18 ans au moment du Front populaire et c’est lors d’une manifestation qu’elle rencontre son futur époux, le communiste Georges Le Bournot. Quand éclate la guerre civile en Espagne, elle s’implique dans l’aide aux réfugiés espagnols à Perpignan dans le Sud de la France, tandis que son frère cadet Agustin s’engage dans les brigades internationales.

Résistance et maquis

Recherché par la police, Georges Le Bournot se cache dans le Morvan : il y travaille comme bûcheron. Lise reste à Paris jusqu’en 1943, où elle confectionne et distribue des tracts clandestins en faveur de la Résistance. Elle est arrêtée puis libérée, faute de preuves et enceinte. Elle rejoint son mari à Bazolles (Nièvre). Avec les militants communistes Raymond Thiel (de nationalité suisse) et Maurice Magis (de nationalité belge), Georges installe un maquis dans la zone et confie la responsabilité militaire à Maurice Magis du fait de son expérience d’officier dans l’armée belge, mais il choisit une direction collective de quatre personnes (Lise et Georges Le Bounot, Raymond Thiel et Maurice Magis) et le maquis prend le nom du bébé que Lise met au monde en mars 1944 : Daniel. Le maquis Daniel a une position singulière car il est affilié aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), mais dirigé par des communistes. « Lisette », telle qu’elle est appelée dans le maquis, est chargée du ravitaillement et du recrutement. A la Libération il lui est attribué le grade d’aspirante et reçoit l’ordre de la croix de guerre.

Après-guerre, le cinéma militant d’art et d’essai

Après la libération, elle gère les salaires des bûcherons français chargés d’abattre des arbres au titre de la réparation de guerre en Forêt Noire. Après ces deux années de travail entre Fribourg et Baden Baden (Allemagne), elle revient à Paris puis s’installe à Perpignan avec sa famille en 1954 

Elle crée le premier ciné-club de Perpignan et s’implique activement dans la fédération française des ciné-clubs (FFCC) et en particulier de la relation avec les pays de culture hispanique. Entre 1954 et 1971, elle contribue régulièrement à la revue de la FFCC Cinéma et représente la FFCC dans des festivals : Cannes, Benalmadena, Gotwaldov et elle apporte son assistance à la création de la fédération cubaine des ciné-clubs. 

Plus tard elle organise à Perpignan, des week-ends cinématographiques qui permettent à des Espagnols de voir des films censurés par la dictature franquiste. Elle crée également avec son mari Georges une salle d’art et d’essai, « le cinématographe », qui ferme lorsqu’ils prennent leur retraite dans les années 1980.

Elle prononce un discours lors l’inauguration de deux stèles commémorant le maquis Daniel près de l’étang de Vaux (Nièvre) le 15 août 1990 :

«  Dans la résistance contre l’occupant nazi, il y avait ceux qui se battaient pour la reconquête d’une patrie, c’est-à-dire d’un certain territoire et ceux qui se battaient pour des valeurs éternelles, et ceci n’importe où il fallait les défendre, là où la liberté était à conquérir. » Et elle rappelle plus loin que « le commandement du maquis Daniel était assuré par un belge, un français, un suisse et une espagnole. Et parmi nos gars, nous avions des espagnols, des italiens, un autrichien, et même un chinois ».

Lise le Bournot meurt le 11 décembre 2005 à Perpignan.

Tous mes remerciements à Daniel Le Bournot et Aurore Callewaert (directrice du musée de la Résistance) qui m’ont fourni des informations et des documents.